Président de l’association antiraciste J’accuse !, Marc Knobel a assisté hier, mercredi 14 mars 2018, à la comparution d’Alain Soral devant le TGI de Paris. Il revient ici sur le déroulement de cette audience.
Monsieur Alain Bonnet dit Soral a régulièrement été cité devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, sur signalement de la LICRA, l’UEJF (lire le compte-rendu de son président), J’Accuse !, le MRAP et SOS-Racisme, pour avoir directement provoqué publiquement à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Ce 14 mars 2018, Alain Soral comparaissait donc devant la XVIIème chambre correctionnelle, en l’espèce parce qu’il avait été publié sur le site internet Egalité & Réconciliation, à la rubrique « Dessins de la semaine », un dessin représentant quatre candidats à l’élection présidentielle (François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, et François Asselineau) tels des pions sur un échiquier, dominés par trois personnalités juives qui les dirigeraient (Bernard-Henri Levy, Julien Dray et Jacques Attali), avec pour légende : « Présidentielles, Qui mène le jeu… ». En filigrane, on perçoit une étoile de David et un chandelier à sept branches. Avec cette caricature, l’internaute est de toute évidence invité à considérer que les personnalités juives portées à l’image incarnent le « lobby juif » qui contrôle la France et le monde par le pouvoir de l’argent. Selon l’avocat de l’UEJF et de J’accuse !, « tous les poncifs de la plus vile propagande anti-juive sont chevauchés sans vergogne pour démontrer l’existence d’un programme juif de domination du monde », conformément au mythe véhiculé par les Protocoles des Sages de Sion.
Il avait été également publié sur Égalité & Réconciliation un dessin représentant Messieurs Jacques Attali, Jack Lang, Bernard-Henri Levy, Julien Dray, Alain Finkielkraut et Emmanuel Macron sous l’apparence de cancrelats, Jacques Attali étant désigné comme « cancrelat en chef » et affublé d’une étoile de David sur un ruban rayé bleu et blanc, une affichette tenue par un personnage arborant un os dans les cheveux indiquant : « FRANCE gare à toi… les cancrelats sont en marche » et à l’arrière-plan les logotypes de la LICRA, du CRIF et de la République française associés à des latrines.
L’image choisie du « cancrelat », outre le fait qu’elle est épouvantable, est destinée à susciter un réflexe de dégoût face aux dangers auxquels ces insectes nuisibles sont associés. L’exhortation à la haine, voire à la violence, résulte en outre de la légende du dessin incriminé. Comme l’indique Maître Stéphane Lilti, « cette mise en garde alarmiste et alarmante, figurant au premier plan de l’image, exprime un appel à la mobilisation et à la résistance contre l’invasion mortifère de la peste juive « en marche » ».
Comme à son habitude, Alain Soral était accompagné d’une quarantaine de militants ou de sympathisants. L’audience a débuté à 14h00 pour s’achever à 19h40. Elle fut d’une violence inouïe.
D’emblée et comme à son habitude, Alain Soral se déchaîne : « La communauté juive organisée a un très grand pouvoir en France, elle a éjecté François Fillon », martèle-t-il sérieusement à l’audience. « Les candidats [à la présidentielle – ndlr] étaient des pions manipulés par les médias. Ces réseaux de domination voulaient la victoire de Macron », assène-t-il, tout en menaçant la communauté juive : « le judaïsme est une religion de haine ».
Celui qui se présente comme le « président à vie » d’Égalité & Réconciliation fait défiler quatre témoins à l’appui de sa défense, tous choisis parmi le gratin de la complosphère [1]. Chacun veut démontrer à l’audience que les Juifs dominent le monde et conspirent contre les nations. Parmi eux, Hervé Ryssen, condamné à de multiples reprises et qui se présente comme « raciste », « antijuif et antisémite » [2]. A la demande de la défense, le tribunal accepte la projection d’une vidéo de propagande de dix minutes réalisée par Égalité & Réconciliation, sorte de compilation et de courtes séquences visant à démontrer la domination exercée par les Juifs.
Lors de son intervention, le procureur de la République explique qu’Alain Soral est un « agitateur » et un « manipulateur » dont la « fixation » sur les Juifs « est obsessionnelle ». Pour les trois affaires qui sont jugées, le Procureur requière 5 000 euros d’amende et 6 mois d’emprisonnement avec sursis, pour chacune des caricatures. En fin d’audience, Alain Soral lit un texte. A ce moment-là, il est extrêmement nerveux et son allocution fait porter sur les Juifs tous les malheurs du monde. Lorsqu’il en termine la lecture, en plein tribunal, il est chaudement applaudi par son public, tout acquis à sa cause. Sommes-nous encore dans une salle d’audience ?
Au final, on ne peut pas dire que les droits de la défense n’ont pas été respectés. Les quatre témoins d’Alain Soral, lui-même et son avocat – également avocat du négationniste Robert Faurisson – martèlent pendant des heures les mêmes messages.
Tout au long de cette audience, les délires complotistes, les pires stéréotypes sont assénés ad nauseam : la « domination des Juifs » et/ou d’Israël, le « pouvoir des Juifs », « l’argent des Juifs », « l’instrumentalisation par les Juifs », le judaïsme comme « instrument de mort et de domination », le judaïsme qui « prône le génocide [des non-Juifs] »…
Assister comme je l’ai fait à ce procès et témoigner pour la troisième fois consécutive contre un polémiste se qualifiant lui-même de « national-socialiste » constituent une épreuve terrible. Dans l’enceinte d’un tribunal de la République, en 2018, je pouvais me croire en 1938, face à des ligues factieuses d’extrême-droite. Mais peut-être fallait-il en passer par là pour constater que tout cela relève bel et bien de la provocation à la haine contre les Juifs.
Notes :
[1] Pierre Hillard, Youssef Hindi et Jacob Cohen témoignaient également. Robin d’Angelo et Mathieu Molard racontent dans Le système Soral. Enquête sur un facho-business (Calmann-Lévy, 2015, p. 123), que dans un roman, Jacob Cohen « décrit une France infiltrée par le Mossad qui introduit des agents dormants dans tous les secteurs de la société – même chez les garagistes ».
[2] « Je m’oppose à l’esprit juif et je m’oppose radicalement au projet d’unification mondiale porté par le judaïsme […]. Donc je suis forcément antijuif et antisémite » (cité dans « Hervé Ryssen, auteur antisémite, sort un nouveau livre et espère faire le buzz », Street Press, 19 avril 2012).
L’auteur : Marc Knobel est historien et directeur des études au Crif.